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L’histoire de ma vie à maintenant

Les Déracinés

Magie du Portrait

 

     Je ne me souviens pas vraiment de la guerre du Laos. Cependant je me souviens de la longue traversée sur les routes et le décès de mon père avant d’atteindre les camps de réfugiés en Thaïlande.

     Nous, le peuple Hmong, étions déracinés en quittant le Laos. Restent ces brides de vie comme seul bagage, rassemblées en puzzle pour une demande d’asile politique en France, où il faut dépasser d’innombrables barrières : la peur, l’inconnu, la langue, l’éducation et le travail dans l’espoir d’un futur meilleur !


Lecture vidéo 1 :  « A la mémoire de mes parents »
Lecture vidéo 2 :  « A la mémoire de mes parents »


Illustration de l'article "Les déracinés"
« A la mémoire de mes parents »

 

Une nouvelle effroyable !

     Toute la ville de Long Tieng était agitée par une effroyable nouvelle. Mes parents étaient inquiétés et parlaient de guerre, de fuite. Ils cherchaient des solutions pour nous mettre en sécurité. Mon père était chaman, à la suite d’un rite de protection, les esprits l’assignèrent de quitter le pays par le nord du Laos sinon il périrait. Malheureusement mon grand frère faisait ses études dans le sud du Laos à Vientiane (capitale du Laos), mon père décida de prendre le risque de partir autrement.

     Les plus fortunés étaient les premiers à quitter le pays par les airs. Nous étions parmi ceux qui n’avaient que leurs jambes et leur chance comme unique secours. De notre ville Long Tieng à Vientiane , je me souviens de la longue traversée sur les routes poussiéreuses, à pied, en taxi, en charrette… La fatigue et le sommeil ne m’ont pas épargnée et comme dans un songe, je passais tantôt du dos de mon père à celui de ma mère. Après plusieurs jours de marche sous un soleil de plomb, surgit une nuit pas comme une autre. Sous une pluie diluvienne, mon père fut happé par un mal de ventre innommable … Nous l’avons emmené à l’hôpital, mais la perfusion administrée n’a pas suffi à le sauver. C’est ainsi que dans un demi-sommeil, couché au pied de son lit, j’entendis les chuchotements des derniers mots de mon père pour moi, suivis de sanglots et de larmes qui l’accompagnèrent vers un autre ailleurs.

     Une tombe improvisée avec une déchirure écarlate dans nos âmes, nous nous plongions profondément dans la nuit après avoir récupéré mon grand frère. Cachés sur la berge avec notre passeur dans les hautes herbes, nous attendions en silence que la nuit couvre notre évasion. Puis la barque glissa lentement sur le Mékong (fleuve séparant le Laos de la Thaïlande) en nous emportant vers l’autre rive. Je me souviens des lumières à l’autre bout du fleuve où nous avons été accueillis par les militaires thaïlandais puis menés en bus vers les camps de réfugiés.

Déracinement, nouveau monde, contraste climat et culture

     1977, après 2 ans d’attente dans les camps de réfugiés en Thaïlande, notre demande d’asile pour la France fut acceptée. La violence du déracinement a été vécue plus intensément par les adultes que les enfants. Le déchirement se lisait sur leurs visages, entre tristesse et désarroi de quitter à nouveau leurs amis et leurs familles proches retrouvés. Chacun tentait de se rassurer et de se consoler en ayant l’espoir d’une vie meilleure dans un autre pays.

     Enfin l’avion nous déposa ma famille et moi en terre d’accueil : la France ! J’avais 7 ans et portais encore l’innocence malgré mon cœur blessé d’avoir perdu mon père. Je me rappelle le contraste saisissant que fut de passer d’un climat tropical au froid de l’hiver. Une nuit, en regardant par la fenêtre, pour la première fois j’étais saisie par l’enchantement des premiers flocons de neige descendant du ciel sous les projecteurs des lampadaires ! Puis je me souviens du centre d’accueil où l’aide sociale nous a donné des vêtements chauds et des 2 foyers d’accueil où nous avions vécu avec d’autres familles hmong. Je me souviendrais longtemps de la première fois où nous, les enfants, avons été emmenés voir la crèche de Noël après la messe à l’église et reçus nos cadeaux ! Ma curiosité et mon insouciance me permirent de m’ouvrir au contenant de ce nouveau monde, de découvrir rapidement un environnement d’immeubles, de voitures, de médias, d’écoles et de livres illustrés qui m’enchantèrent longtemps après encore !

Langue, éducation, travail et liberté de choix de vie

     Pour les adultes il a été très rapidement mis en place des aides pour trouver du travail manuel avec le peu de communication possible. Les hmong avaient cette témérité et ce courage à l’œuvre qui les caractérisaient, ce qui facilita dans la majorité des cas, une rapide intégration. La liberté de la France fut de nous donner le choix de garder nos traditions et coutumes ainsi que notre pratique religieuse.

     La chance de la jeunesse est de pouvoir franchir avec facilité la barrière de la langue française. Il était primordial de maîtriser l’écriture et la lecture et de vivre en respectant les nouvelles cultures et les nouvelles mœurs. Mon ouverture d’esprit m’a permis de m’adapter et d’assimiler les sonorités et le langage gestuel grâce aux des premières comptines chantées en classe d’alphabétisation. C’est ainsi que rapidement j’intégrais l’école primaire et poursuivis mes études qui m’ont permis d’avoir un choix de vie et de métier, alors que née fille dans mon pays, mon destin était tout tracé.

Isolement et peur de l’inconnu

     Ma mère avait 44 ans à l’époque, non seulement elle avait perdu le pilier de la famille, mais aussi tous ses repères ! Le cœur brisé et meurtri, elle avait dû se battre jour après jour contre la peur d’un monde inconnu, la barrière de la langue et de la culture. Elle était déstabilisée et se renfermait peu à peu, en restant en groupe entre compatriotes et ne parlant que dans la langue hmong et laotienne.

Les conflits de génération, de culture et de mœurs

     De ma plus tendre enfance sur le sol de terre rouge du Laos à mes premiers pas, j’avais l’opportunité d’avoir le plus grand terrain de jeu qu’était la jungle sauvage et luxuriante ! J’étais une enfant intrépide et vive et j’adorais découvrir le monde. Chaque matin était un nouveau jour d’exploration !

     Mais là, nous étions en France et déracinés ! Ma mère était le cœur du foyer et s’occupait du matin au soir de nous nourrir et choyer. Impuissante, ma mère vécut avec la peur au ventre, nous attendait toute la journée en s’occupant de la maison. Elle était tiraillée entre l’envie de me voir réussir ma vie et la terreur de me savoir affronter ce monde dangereux !

     A l’adolescence après le bac, les circonstances m’ont amenée à faire des choix très difficiles qui m’ont éloignée définitivement de ma mère pour faire mes propres expériences de la vie. Isolée de ma famille, j’ai traversé des épreuves qui ont forgé mon caractère et m’ont forcée à me reconnaître, à m’améliorer. J’ai dû faire face à mes responsabilités et me former pour développer mon potentiel personnel et artistique.

     Ma bonne étoile a mis sur mon chemin des rencontres humaines qui m’ont guidée quand j’étais perdue et m’ont encouragée à poursuivre ma passion du dessin !

L’impact sur ma vie d’avoir eu 2 cultures

     Ce n’est que plus tard que je me suis rendue compte de nos caractères opposés à ma mère et moi ! Alors j’ai réalisé trop tard, en toute conscience, les frayeurs que je lui ai fait vivre depuis ces longues années ! Tiraillée entre deux cultures, j’ai porté longtemps une culpabilité de l’avoir fait souffrir de nos différences de pensées et de notre incompréhension. C’est en devenant mère que j’ai compris qu’on élève son enfant avec amour, pour lui donner assez de confiance pour qu’il puisse voler de ses propres ailes partout dans le monde.

     Le dessin, la peinture ont guidé mes choix jusqu’à me permettre de construire une carrière de styliste. Durant toutes ces années d’épreuves, j’ai appris à écouter mon intuition, à croire en moi et à aller de l’avant. Quand ma différence devient ma force, quand mon combat me structure et me vivifie, alors je deviens la femme que je dois être.

     Un jour je retournerai au Laos, je prendrai le temps de chercher l’origine des Hmong, qui signifie « Homme libre », alors je te raconterai l’histoire de ce peuple.

Remerciement à:

Machiko et Laurent du Blog:
Apprendrelejaponais-découvrirlejapon.com

qui m’ont donné un prétexte pour raconter mon histoire personnelle en participant au Carnaval d’article sur le thème :

« Comment le fait de vivre dans un autre pays que le sien a impacté votre vie ? »
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8 commentaires

  • Bodollec

    Bonjour,
    Merci de partager l’histoire de votre famille, c’est très touchant de lire votre parcours. Je connaissais les grandes lignes grâces a vos nièces. Mais je ne savais pas tout ses détailles.
    C’est très bien de connaître les chemins que certains ont du parcourir pour fuir la guerre, la misère. Que chacun puisse comprendre qu’il y a beaucoup de sacrifies pour espéré avoir une vie meilleur.

    • Tong Xiong

      Bonjour,
      merci à toi de t’être arrêté pour lire et laisser un commentaire.
      En effet, c’est en voyant les réactions de ma famille, neveux et nièce à la publication de mon article
      que j’ai vu son impact sur eux .
      Après tout, cette histoire leur appartient tout autant et reste une fêlure vive dans nos mémoires.

  • Donremy

    Bonjour,
    Je viens de lire votre histoire émouvante ,je vous remercie de partager
    votre périple et votre souffrance aux heures sombres dans votre pays.
    Merci également pour la subtilité des dessins.
    Bon courage et bonne continuation.
    Amicale pensée

  • Chrystèle

    Bonsoir ma belle,
    Ton histoire est si émouvante. Ton parcours est beau et puissant.
    Tes dessins sont magnifiques. J’espère que tu te portes bien.

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